Décès d’Alain Magloire

GUICHET UNIQUE ET LEADERSHIP

Pour favoriser la prise en charge, plusieurs témoins ont plaidé pour des services chapeautés par une même organisation. Jason Champagne, directeur adjoint des programmes santé mentale au CIUSSS du Centre-Est-de-l’Île-de-Montréal, a amené l’idée d’une unité de santé urbaine, comme un guichet unique. Celle-ci serait affiliée à un seul hôpital et comprendrait des médecins de famille, des psychiatres, des experts en toxicomanie, des policiers, des intervenants communautaires, etc. Le psychiatre Olivier Farmer du CHUM, fondateur de PRISM (Projet de réaffiliation en itinérance et santé mentale), mise sur une intervention dans le milieu. Il déplore « l’absence de leadership clair » du gouvernement.

Décès d’Alain Magloire

CONFIDENTIALITÉ

L’état de santé mentale d’Alain Magloire était préoccupant dans les mois qui ont précédé sa mort. Il a été en contact avec les services de santé, mais comme aucun professionnel n’a eu accès à son dossier médical complet, personne n’a cru bon tirer la sonnette l’alarme. « Il faut trouver des pistes de solution pour améliorer la fluidité des informations », a indiqué le coroner Malouin. Des policiers ainsi que des intervenants en itinérance et en santé mentale ont confirmé le problème. « Tout est en silos. Il y a beaucoup de ressources, mais l’aide est isolée, fragmentée », a confirmé le policier Laurent Dyke, de l’équipe EMRII.

Décès d’Alain Magloire

INTERVENTION POLICIÈRE

Alain Magloire était visiblement en crise le matin du 3 février 2014. Les policiers ont commis quelques erreurs, amenuisant les possibilités de désamorcer cette crise, a expliqué Bruno Poulin, expert-conseil en emploi de la force à l’École nationale de police du Québec. Les agents auraient dû demander sans attendre un pistolet électrique et une ambulance. Ils auraient eu avantage à se montrer calmes, au lieu d’adopter un ton dur, et à insister sur le fait qu’ils étaient là pour aider, a-t-il indiqué. La manœuvre improvisée de l’agent Denis Côté, qui a heurté M. Magloire, a été remise en question.

Décès d’Alain Magloire

L’ENQUÊTE EN 5 POINTS

Les audiences de l’enquête publique sur les circonstances entourant la mort d’Alain Magloire ont pris fin hier au palais de justice de Montréal, alors que témoignait le frère de la victime, Pierre Magloire. Le coroner Luc Malouin, qui a entendu des dizaines de témoins depuis janvier, devrait remettre son rapport avant la fin de l’année. Voici un résumé de l’enquête en cinq points.

— Sophie Allard, La Presse

Décès d’Alain Magloire

ARMES INTERMÉDIAIRES

Mathieu Brassard, l’agent qui a tiré sur Alain Magloire, avait demandé un pistolet électrique. L’arme est arrivée sur les lieux peu après la confrontation fatale. Magloire serait-il en vie si les policiers avaient disposé d’un pistolet électrique ? Le coroner n’en est pas convaincu. Toutefois, il a dit être d’avis que le déploiement des pistolets électriques devrait être accéléré. « Il faut trouver une solution entre le laisser-aller et l’arme à feu. Il doit y avoir une volonté politique et économique. » L’usage d’un pistolet électronique n’est pas efficace à tout coup, mais l’effet dissuasif est marqué, a expliqué Sylvain Asselin, maître-instructeur en tir pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Décès d’Alain Magloire

FORMATION

« La formation des policiers est au cœur même de cette enquête. On doit mieux les former pour intervenir auprès des personnes en crise », a déclaré le coroner. Expert-conseil en emploi de la force, Bruno Poulin a suggéré une formation améliorée, notamment par l’augmentation du nombre de simulations en situation de stress. Le programme collégial de techniques policières est actuellement en révision. Le processus, qui a débuté en février 2015, devrait être complété à l’été 2016. Du côté du SPVM, 223 agents sont formés à la réponse en intervention de crise (RIC). « Ne devraient-ils pas tous recevoir cette formation ? », s’est demandé le coroner.

AUDIENCES PUBLIQUES SUR LA MORT D’ALAIN MAGLOIRE

Un plaidoyer pour la formation des policiers

Foncer avec une voiture de patrouille sur un homme qui souffre de maladie mentale ne devrait pas être autorisé et cette façon de faire, dans les instants qui ont précédé la mort d’Alain Magloire sous les tirs policiers, illustre à quel point les agents sont mal outillés pour faire face à ce genre de situation, a témoigné hier son frère, Pierre Magloire.

Au dernier jour des audiences publiques sur ce drame, survenu le 3 février 2014, Pierre Magloire a signalé hier que cette manœuvre « sournoise », sans préavis, aurait pu causer plus de victimes. « Si un policier s’était approché de mon frère au même moment, peut-être aurait-il fallu aussi déplorer aujourd’hui la mort d’un agent. »

La patrouille au centre-ville, auprès de sans-abri et de personnes souffrant de maladies mentales, nécessite une formation particulière, a plaidé M. Magloire. Dans l’état actuel des choses, « on scrappe trop de vies ».

La vie de son frère a été perdue, mais la vie de plusieurs membres de sa famille et de policiers a aussi été bouleversée par cette intervention qui a si mal tourné. Les policiers ne sortent pas indemnes de tels drames, a rappelé M. Magloire, évoquant les arrêts de travail qui s’en suivent souvent et les coûts sociaux que cela suppose.

DÉSORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ

Dans le cas de son frère Alain, Pierre Magloire croit que des policiers formés en santé mentale – et disposant d’armes intermédiaires – auraient su qu’il suffit parfois de prendre quelques minutes de plus pour permettre à un homme en crise de reprendre ses esprits.

Pierre Magloire en avait aussi long à dire sur la désorganisation du système de santé qui a tôt fait de perdre la trace de gens comme son frère qui, d’emblée, ne consentent pas à être soignés, mais qui peuvent être convaincus de le faire si un suivi adéquat est fait.

Père de deux fillettes, Alain Magloire a été chercheur en biochimie et intervenant auprès d’enfants handicapés pendant une décennie. Puis, graduellement, son état s’est mis à dégénérer de façon très évidente.

« Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Il y a eu quantité de signes, de drapeaux rouges. Alain aurait pu être protégé. »

— Pierre Magloire

M. Magloire déplore entre autres le fait qu’en matière de santé mentale, la famille est trop souvent écartée par les autorités médicales, alors qu’elle pourrait pourtant apporter des informations importantes.

Le coroner Luc Malouin, chargé de l’enquête, n’a pas manqué de souligner que la difficulté vient ici de ce qu’il faut certes protéger la personne, mais que la chose est compliquée par le fait qu’on peut difficilement agir contre son gré : une personne qui souffre d’une maladie mentale a aussi droit à la liberté.

Pierre Poupart, l’avocat qui représente la famille, a en tout cas conclu qu’il fallait changer les façons de faire parce que sinon, « il y aura d’autres Magloire et d’autres Hamel », a-t-il dit. Mario Hamel est ce sans-abri tué en 2011 par les balles de policiers qui ont aussi atteint un innocent, Patrick Limoges.

À l’heure actuelle, a insisté Me Poupart, il est regrettable de constater les échecs de notre société en matière de transition. Les sorties de prison, les sorties de familles d’accueil ou de familles dysfonctionnelles se font souvent n’importe comment, « dans l’éparpillement », laissant trop de gens fragiles seuls et démunis.

L'AFFAIRE EN 5 DATES

3 FÉVRIER 2014

Alain Magloire est abattu par un policier du SPVM.

7 FÉVRIER 2014

Le coroner en chef, Me Denis Marsolais, ordonne la tenue d’une enquête publique sur les circonstances entourant le décès d’Alain Magloire.

2 SEPTEMBRE 2014

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales annonce qu’il ne déposera aucune accusation criminelle contre le policier Mathieu Brassard relativement à la mort d’Alain Magloire.

12 JANVIER 2015

Début des audiences de l’enquête publique qui se dérouleront pendant six semaines sur six mois.

19 JUIN 2015

Fin des audiences. Le coroner recevra l’argumentaire des différentes parties d’ici la fin de septembre et devrait déposer son rapport avant la fin de l’année.

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